L'Union de l’Europe Occidentale fut jusqu’à cette date une organisation de défense et de sûreté, aux fonctions équivalentes à celles de l’OTAN, mais dont les membres étaient tous européens. À l'expiration des cinquante ans du traité de Bruxelles, l’Angleterre exerce en premier son droit de dénonciation du traité. La dissolution de l’UEO est officialisée pour le 30 juin 2011. J’obtiens avant cette date l’autorisation d’initier une prise de vue au sein du bâtiment parisien de l’UEO.
Dans ce contexte de liquidation des structures et de plan social, je découvre les lieux pour la première et dernière fois, alors que toutes les activités politiques qui s’y déroulaient jusqu’à présent viennent de s’arrêter et que les bureaux sont en train d’être vidés.
Mon autorisation n’est valable que pour 4 heures, durant lesquelles je peux circuler librement dans cette sorte de décor de théâtre dont les acteurs viendraient de se retirer de la scène.
J’ai pris le parti de me concentrer moins sur la singularité manifeste du lieu (accès sécurisé, salles de conférences) et plus sur son occupation. C’est-à-dire, à la manière d’un archéologue, de fouiller dans le visible de cette désertion. Par là même, de regarder comment ces personnes parties avaient pu résister à la pesanteur du lieu, comment elles étaient parvenues, malgré tout le contexte calfeutré et ultra-sécurisé de cet espace lié à la défense, à apporter avec elles, sur leur lieu de travail, une forme de banalité, de poussière. Entre l’aspect exceptionnel du lieu et finalement sa grande banalité, cette tension a suscité mon intérêt dans ce qu’il laissait à voir une fois destitué de ses fonctions. Je n’ai plus touché ensuite à ces images, au point de les oublier.
Le 23 juin 2016, les Britanniques décident de sortir de l’Union Européenne; le Brexit est voté. Je décide de retourner alors dans mes archives, puisque ce référendum vient d’en modifier la valeur documentaire. Je remarque avoir pris un certain nombre de photographies d’angles. Ce sont principalement ces images que je décide de sélectionner.
« Ou bien on saisit, et nous sommes dans le monde du visible, dont une description est possible (…) ou bien on ne saisit pas, et nous sommes dans la région de l’invisible, dont une métaphysique est possible. (…) Il y a pourtant une alternative à cette incomplète sémiologie. Elle se fonde sur l’hypothèse générale que les images ne doivent pas leur efficacité à la seule transmission de savoirs – visibles, lisibles ou invisibles –, mais qu’au contraire leur efficacité joue constamment dans l’entrelacs, voire l’imbroglio de savoirs transmis et disloqués, de non-savoirs produits et transformés. »
Didi-Huberman, Georges. Devant l’image. Éditions de Minuit, 1990.
The Western European Union (WEU) was, until that date, a defense and security organization with functions equivalent to those of NATO, but whose members were all European. Upon the expiration of fifty years of the Treaty of Brussels, the United Kingdom was the first to exercise its right to denounce the treaty. The dissolution of the WEU was officially set for June 30, 2011. Before this date, I obtained permission to initiate a photoshoot within the WEU’s Parisian building.
In this context of structural liquidation and a social plan, I discovered the premises for the first and last time, as all the political activities that had taken place there until then had just ceased and the offices were in the process of being emptied.
My authorization was valid for only 4 hours, during which I could freely roam in this kind of theatrical setting where the actors seemed to have just left the stage.
I chose to focus less on the apparent singularity of the place (secured access, conference rooms) and more on its occupation. That is to say, in an almost archaeological manner, to delve into the visible traces of this abandonment. I sought to see how these departed individuals had resisted the gravity of the place, how they had managed, despite the confined and ultra-secure context of this defense-related space, to bring with them a form of banality, of dust, to their workplace. Between the exceptional nature of the place and its ultimate banality, this tension sparked my interest in what it revealed once it was stripped of its functions. I did not touch these images again, to the point of forgetting them.
On June 23, 2016, the British decided to leave the European Union; Brexit was voted. I then decided to return to my archives, as this referendum had just altered their documentary value. I noticed that I had taken a number of photographs of angles. These are primarily the images I decided to select.
“Either we grasp, and we are in the world of the visible, where a description is possible (…) or we do not grasp, and we are in the region of the invisible, where a metaphysics is possible. (…) However, there is an alternative to this incomplete semiology. It is based on the general hypothesis that images owe their effectiveness not solely to the transmission of knowledge—visible, legible, or invisible—but that, on the contrary, their effectiveness constantly plays within the interweaving, even the imbroglio of transmitted and dislocated knowledge, of non-knowledge produced and transformed.”
Didi-Huberman, Georges. Confronting Images. Éditions de Minuit, 1990.