WORKING ANGLES : Histoire d'une archive en 14 images et 2 dates:

Juin 2011

L'Union de l’Europe Occidentale (UEO) fut jusqu’à cette date une organisation de défense et de sûreté, aux fonctions équivalentes à celles de l’OTAN, mais dont les membres étaient tous européens. À l'expiration des cinquante ans du traité de Bruxelles, l’Angleterre exerce en premier son droit de dénonciation du traité. La dissolution de l’UEO est officialisée pour le 30 Juin 2011. J’obtiens avant cette date l’autorisation d’initier une prise de vue au sein du bâtiment parisien de l’UEO.
Dans ce contexte de liquidation des structures et de plan social, je découvre les lieux pour la première et dernière fois, alors que toutes les activités politiques qui s’y déroulaient jusqu’à présent viennent de s’arrêter et que les bureaux sont entrain d’être vidés.

Mon autorisation n’est valable que pour 4 heures durant lesquelles je peux circuler librement dans cette sorte de décor de théâtre dont les acteurs viendraient de se retirer de la scène.
J’ai pris le parti de me concentrer moins sur la singularité manifeste du lieu, (accès sécurisé, salles de conférences) et plus sur son occupation. C’est à dire, à la manière d’un archéologue, de fouiller dans le visible de cette désertion. Par là même, de regarder comment ces personnes parties avait pu résister à la pesanteur du lieu, comment elles étaient parvenues, malgré tout le contexte calfeutré et ultra-sécurisé de cet espace lié à la défense, à apporter avec elles, sur leur lieu de travail, une forme de banalité, de poussière. Entre l’aspect exceptionnel du lieu et finalement sa grande banalité, cette tension a suscité mon intérêt dans ce qu’il laissait à voir une fois destitué de ses fonctions. Je n’ai plus touché ensuite à ces images, au point de les oublier.

Juin 2016

Le 23 juin 2016, les britanniques décident de sortir de l’Union Européenne, le Brexit est voté. Je décide de retourner alors dans mes archives, puisque ce référendum vient d’en modifier la valeur documentaire. Je remarque avoir pris un certain nombre de photographies d’angles. Ce sont principalement ces images que je décide de sélectionner car elles s'opposent à une certaine objectivité photographique, théorisée notamment par le couple Bernd et Hilla Becher qui systématiquement adoptaient un point de vue frontal. Quelle est alors la frontalité d'un angle puisque comme plis il réunit deux pans qui ont chacun par définition une frontalité propre? À l'instar du lieu qui avait perdu sa fonction et basculait vers une architecture sans usage, je souhaitais me tenir à la limite d'un point de vue photographique et documentaire, aux frontières d'une théorie et d'une esthétique que j'avais pourtant admirées

« Ou bien on saisit, et nous sommes dans le monde du visible, dont une description est possible (…) ou bien on ne saisit pas, et nous sommes dans la région de l’invisible, dont une métaphysique est possible. (…) Il y a pourtant une alternative à cette incomplète sémiologie. Elle se fonde sur l’hypothèse générale que les images ne doivent pas leur efficacité à la seule transmission de savoirs – visibles, lisibles ou invisibles -, mais qu’au contraire leur efficacité joue constamment dans l’entrelacs, voir l’imbroglio de savoirs transmis et disloqués, de non-savoirs produits et transformés »

Georges Didi Huberman. Devant l’image. Éditions de Minuit, 1990.