Conversation avec E sur le travail :
Re-présentations
ou X états d’une table à penser l’échec en photographie
E : D’où vient l’idée de ce travail?
G : Je ne vois pas ça comme une idée que j’aurais eu. Il y avait cette petite table chez moi dans l’entrée où j’ai commencé à déposer différentes choses régulièrement, des choses trouvées dehors principalement et que je déposais là simplement car j’avais envie de les voir et de les regarder de temps en temps en passant devant.
E : Donc au départ, ça n’était pas un travail si j’ai bien compris, mais plus la mise en place d’un dispositif d’observation de tes trouvailles.
G : En effet, je n’avais pas de velléité particulière, c’était juste une table de dépôts divers, une chose pour voir. Aussi une table pour me souvenir de ce que j’avais ramassé et accorder une attention à ces choses, une place qui leur donnait une visibilité temporaire. Je n’ai pas réfléchi en terme de dispositif comme on peut le faire après avoir pensé longuement à quelque chose. C’est apparu par nécessité, comme une chose pratique qui s’est faite spontanément. Malgré tout, avec le recul, il s’agissait quand même d’une forme de dispositif d’exposition, sur table basse, pour un spectateur, moi-même, exposition d’un vide poches on pourrait dire.
E : Tu parles d’exposition, il y avait donc une forme de sélection, d’accrochage, de mise en rapport?
G : Pas comme on peut l’entendre habituellement. Tout ça été beaucoup plus léger et rapide aussi, très enfantin. Je ne me préoccupais pas du tout de la disposition des choses entre elles, de leurs rapports esthétiques, je ne cherchais pas à faire des arrangements. Je déposais ces choses de façon très nonchalante et cela suffisait car elles étaient là, leur présence visible suffisait. Il y a avait par contre des contraintes physiques, la table étant petite et dans un passage, je veillais naturellement à ce que les objets ne dépassent pas les bords de la table pour ne pas les renverser en passant. De même je disposais au premier plan les dernières choses rapportées. Ainsi, avec le temps, les objets les moins récents finissaient par être enfouis à l’arrière plan et disparaissaient plus ou moins à mesure que d’autres «arrivées» prenaient place.
E : Et ces choses, comment les sélectionnes-tu, qu’est-ce qui fait que tu vas rapporter ceci et pas cela, car ce sont des choses très banales, des déchets, des plantes, des minéraux?
G : Qu’est-ce qui fait que sur une plage on va rapporter tel ou tel galet plutôt qu’un autre? Encore une fois, il y a une dimension très spontanée et enfantine et une forme d’attirance pour ce qui se présente juste là, sans désirer autre chose qui pourrait être un peu plus loin. Donc il y a quelque chose de l’ordre d’un élan pour le réel presque, le réel comme peut en parler Clément Rosset. Malgré tout, même si chaque chose a, à un moment donné, attiré mon attention et d’une certaine façon s’est élue elle-même pour être ramassée, ça n’est pas tout à fait juste non plus de le dire comme ça. En effet, souvent ces objets étaient pour moi des surgissements d’indices, ou des micro-enregistrements involontaires d’une foule d’autres choses maintenant disparues mais qui se devinaient à travers ces petits objets laissés sur le territoire. Comme un caillou sur un chemin, qui dans sa façon d’apparaitre laisse supposer qu’il ne se trouve pas là depuis des temps immémoriaux et géologiques mais simplement parce que quelqu’un est passé et d’un coup de pied l’a déplacé d’une zone A vers une zone B.
E : Dirais-tu qu’il s’agissait d’une archéologie du territoire arpenté, ou encore d’une enquête?
G : C’est tentant de le voir comme ça, car cela simplifie beaucoup les choses. Certes il y a quelque chose de commun avec une recherche archéologique ou une enquête dans la mesure où ce qui se trouve permet de déduire des choses sur ce qui a été. Mais j’ai quand même l’impression, que ce soit lors d’une enquête ou d’une mission archéologique, que le but est de focaliser l’ensemble des découvertes vers un point plus ou moins précis, comme lorsque l’on prolonge des lignes dans un tableau pour trouver le point de fuite. Or, dans ce travail, j’ai plutôt l’impression d’un mouvement contraire, que de petites choses conduisent à d’autres dans un mouvement de plus en plus large et imprécis, vers un horizon qui a tendance à s’effacer plus qu’à se définir.
E : Pour en revenir à cette table, c’est donc un dispositif pour rendre visible des objets qui eux-mêmes auraient pour vocation de convoquer d’autres objets, ou d’autres images qui ne sont pas là, qui restent invisibles et intangibles?
G : Oui. C’est une table de dépôts, mais aussi une table à penser. Et le hors champ de cette table est une donnée qui m’intéresse car c’est là que la photographie se déleste de son manteau d’évidence. C’est une banalité de le dire mais la photographie ne peut représenter que ce qui a été face à l’appareil à un moment donné. Pourtant et c’est là aussi une banalité de le rappeler, nous voyons principalement avec ce que nous savons et pensons et nous interprétons ce que nous voyons, nous voyons donc au delà de ce qui est montré. C’est là donc que la photographie peut sembler montrer ses limites immédiates mais aussi sa force. Laquelle opère principalement dans l’invisible qu’elle convoque. D’ailleurs, la publicité quand elle fait usage de la photographie, ne joue-t-elle pas avant tout sur ce principe d’apparente évidence de ce qui est montré, mais mine de rien cible tout un réseau de hors champs de l’image qui fait d’elle finalement le détonateur pour d’autres images, d’autres objets que l’on ne peut pas énumérer si l’on fait la description objective de ce que l’image imprimée représente, mais qui pourtant sont planqués là et peuvent être activés.
E : Peuvent-être activés, donc peuvent ne pas l’être aussi?
G : Évidemment, encore une fois si l’on voit avec ce que l’on sait, il va de soi que nous ne savons pas tous les mêmes choses sur tout. Mais je tiens à cette imprécision tributaire du savoir inconnu de tel ou tel regardeur car elle a la vertu de venir couper court à cette idée de subjectivité du regard. Si l’on considère vraie cette affirmation que l’on voit avec ce que l’on sait, il y a une forme d’objectivité du regard qui s’installe, certes très relative, difficilement mesurable d’un individu à l’autre, mais agissante. Cela se complique aussi si l’on songe au fait que l’on peut voir aussi avec ce que l’on croit savoir...
E : Pourquoi tiens-tu à mettre à distance cette forme de subjectivité qui apparait chez beaucoup d’artistes comme la proposition même?
G : Déjà parce que l’on y échappe pas, pas besoin d’en rajouter donc. Et puis je suis un peu agacé par cette idée commune, supportée et revendiquée par beaucoup d’artistes d’ailleurs, que la création artistique se fonderait sur un imaginaire personnel, un «univers personnel» même, une subjectivité quasi mystique du rapport d’un sujet dit artiste au monde. Certes, Il est impossible de prédire déjà soi-même comment tel ou tel élément du monde va venir entrer en écho avec tel ou tel souvenir, idée ou connaissance que nous aurions. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas là des causes, même si la somme de celles-ci reste inatteignable. Trop souvent on considère l’imagination comme le fruit d’un esprit vagabond qui par hasard pur associerait et mettrait en relation des éléments tout aussi fortuits. Et trop souvent il me semble, l’imagination est perçue comme l’inventivité toute personnelle d’un individu qui se laisserait traverser par elle, comme par une sorte de grâce. Cependant je reste persuadé que nous ne sommes pas si originaux que ce que nous aimerions croire. Que nos idées, nos perceptions, notre imagination ont beaucoup plus en commun avec les autres que ce que nous voulons bien admettre. C’est un peu comme sur les réseaux sociaux, tout le monde produit le même type de commentaires et d’images et pourtant chacun fait comme si cela lui était particulièrement singulier. Faire l’expérience d’une chose commune est une expérience personnelle certes mais qui ne fait pas pour autant de celui qui l’éprouve, le propriétaire de cette capacité de sensation. Je peux avoir une impression forte devant un tableau par exemple, je ne suis pas pour autant propriétaire des impressions que ce tableau peut susciter car souvent celles-ci reposent sur un fond culturel fort, une histoire, un terreau social, une éducation etc, etc, donc des choses qui par définition sont partagées. De plus si je ne vois jamais ce tableau, si donc je n’éprouve jamais rien devant lui, je reste persuadé qu’il réserve en lui pour un autre regardeur, un jour, passé ou à venir, le même type d’émotion et de réaction que celle que j’aurais pu avoir si à mon tour je le voyais. En ce sens l’imagination serait plus comme un potentiel, qui s’active ou pas, mais que cela soit Pierre, Paul, Jacques ou moi-même qui l’active n’a pas à mes yeux grande pertinence. Mais qu’une chose du monde possède ce potentiel, cela oui me semble plus intéressant car c’est recentrer l’intérêt sur la chose elle-même, et s’interroger sur ce qui dans son ADN la singularise elle, plutôt que nous-mêmes.
E : Donc tu ne cherches pas vraiment à manifester un «univers personnel»?
G : Non, c’est une question que je ne me pose même pas. Certes, c’est moi qui ramasse ces choses, qui les dépose etc. Certes, il y a aussi un choix d’écriture photographique, mais celle-ci j’essaie de la trouver pour qu’elle serve l’objet que je tâche de décrire, d’étudier, et non pour qu’elle plie cet objet dans une direction formelle que je souhaiterais voir apparaitre. Ainsi je suis plus à l’aise avec la notion d’opérateur qu’avec celle d’auteur. Oui, c’est moi qui fait ces choses, mais je considère cela comme une donnée pratique. En effet, je suis la personne la plus facilement accessible et à disposition pour faire tout ça. Mais quelqu’un d’autre pourrait faire ce travail en suivant un petit protocole simple, sortir ramasser, déposer, photographier, recommencer pour dire ça rapidement.
E : Le résultat serait sans doute complètement différent dans ce cas.
G : Oui, et donc on en revient à cette notion de potentiel. J’envisage cette série d’images comme des potentiels advenus, parmi bien d’autres qui auraient pu l’être et l’opérateur évidement est une donné déterminante. Ceci dit, le fait qu’il s’agisse d’une série vient précisément rompre j’espère cette idée d’image unique. De même avec les dates tamponnées sans soin particulier sur la tranche de la table, qui désignent avec insistance l’aspect fugitif et instable de telle ou telle configuration des objets et de leurs rapports entre eux. Ces tampons datés sont l’inscription de chaque cliché dans une chronologie qui dépasse sa propre venue à un instant T.
E : Tu parles de potentiels, mais des potentiels de quoi?
G : D’existence. Ces relations entre les choses à un moment sur la table existent, elles existent dans le monde. N’est-ce pas fascinant qu’une relation entre des choses existe parmi l’infini des variations que ces relations auraient pu être? Ainsi, il y a quelque chose de vertigineux il me semble à voir un potentiel s’activer, un millimètre de plus ou de moins entre deux éléments et c’est déjà autre chose. Ainsi quand tout frise à ce point avec l’altérité et la différence à soi-même, comment définir une chose en particulier, comment dire que ceci est bien cela et pas seulement une des variations infinitésimales de ce qui est juste entrain de devenir autre, de ce qui à moins d’une virgule près s’apprêtait certainement à advenir autrement en lieu et place de ce qui est arrivé?
E : dirais-tu que chaque image de la série est donc à la fois singulièrement importante et en même temps parfaitement insignifiante?
G : C’est, oui, un paradoxe en apparence. Chaque potentiel activé est à la fois absolument unique et la photographie vient documenter cette occurrence et en même temps, dès lors que l’on considère tout ce qu’elle aurait pu être, cela annule d’une certaine façon cette unicité qui devient toute relative. Ainsi, plus qu’iconique, chaque image est ici pour moi exemplaire, dans le sens littéral du terme, exemple au service d’un argument plus général qui concerne plus ce qui n’est pas montré que ce qui l’est.
E : Qu’est-ce qu’une chose, c’est finalement la question posée ici?
G : C’est une des questions principales oui. Qu’est ce qui est photographié, une addition de choses, une seule chose composée d’un ensemble d’autre choses? S’agit-il de différents états d’une même chose ou bien d’une succession de différentes choses ?
E : Et que répondrais-tu à cela?
G : C’est aussi pour moi un travail de sculpture, la tranche avec les dates tamponnées faisant office de socle, à la fois matériel et intangible car c'est aussi un socle temporel qui se saisie par la pensée mais qui reste explicitement lisible. Considéré comme sculpture, on peut facilement considérer chaque image comme la trace documentaire de multiples variations. Mais comme rien n’est fait pour assurer une quelconque pérennité, peut-on parler encore de sculpture?. Il s’agit peut-être plus alors d’installation. Mais en même temps il y a ce socle, propre à la sculpture. Ainsi les questions restent ouvertes sur la nature de cet «objet».
E : Et la photographie dans tout ça, quelle est sa place et son statut?
G : La photographie ici documente des étapes d’un processus, et même pas toutes d’ailleurs. Mais comme il ne reste rien de ce processus où tout est déconstruit, la photographie devient aussi l’œuvre, car elle devient l’endroit où finalement tout reste, mais tout reste «re-présenté», donc de nature parfaitement différente et infiniment distante avec ce qu’était «l’objet» représenté dans ses différentes métamorphoses. Ainsi, dire qu’elle n’est que documentaire ne semble pas suffire. Le statut de la photographie, comme tout dans ce travail j’ai l’impression, reste alors à l’orée de différentes définitions possibles. J’ai pensé à ce titre pour ce travail: « x états d’une table à penser l’échec en photographie». Car en fait tout est perdu de cette sculpture si c’en est une. Alors comment faire une médiation photographique du réel et de sa complexité quand le réel est perdu et qu’il ne nous en reste qu’une «re-présentation» qui par nature ne peut remplacer ce qu'elle représente? Pour moi dire que la photographie capture, retient, fixe, fige quoique ce soit des objets du monde, c’est un leur. Elle ne retient que la lumière émise par des surfaces plus ou moins changeantes à un très bref instant, rien d’autre et encore. Car selon l’appareil, la calibration de l’écran de l’ordinateur, le papier, l’imprimante, en omettant toute une foule d’aspects techniques, elle s’incarnera matériellement très différemment en fonction de tous ces paramètres qui vont déterminer son apparition comme objet fait de pigments et de papier ou de pixels sur un écran. Çà n’est que ça, du papier et des pigments ou des pixels sur un écran, le reste n'est que fait de nos ce que nous y projetons.
E : Si c’est un échec, pourquoi photographier encore?
G : C’est un échec si et seulement si on confère cette vertu «momifiante» à la photographie. Si l’on accepte qu’elle ne retient rien, n'immortalise rien, si l’on accepte que malgré sa spécificité technique, dans son rapport terme à terme qu’elle entretient avec ce qu’elle représente, son seul pouvoir consiste à générer des illusions alors elle devient le medium privilégié pour exercer une pratique du doute. Envisagée ainsi, je n’ai donc pas envie d’y renoncer car c’est alors un véhicule fascinant pour douter des évidences. Évidences qu’elle produit elle-même par la vraisemblance. Évidences que j’essaie un peu de court-circuiter dans mon travail. En quelque sorte, elle échoue à être ce que nous voudrions qu’elle soit, ce pour quoi elle a été inventée peut-être, mais elle n’échoue plus dès lors qu’elle rejoint le monde plus vaste des images auxquelles appartient, au même titre et non plus en concurrence avec la peinture par exemple .
E : Ainsi le sujet de ce travail, c’est la photographie elle-même et plus précisément la photographie comme échec. Ceci dit, parler d’échec donne l’idée d’un objectif manqué, qu’est-ce qui manque donc?
G : Oui, «l’échec photographique» est le sujet principal de ce travail, si sujet il y a. Malgré ce que j’ai pu dire, l’élan premier consistait quand même à vouloir retenir différents états, tout en sachant que cela est impossible. Un peu comme on peut prendre une drogue quelconque pour se donner l’illusion de quelque chose tout en restant conscient du fait qu’il ne s’agit que d’un leurre, la photographie venait répondre à ce désir illusoire de pouvoir arrêter le cours des choses, en ce sens c’est un échec.
Mais ça l’est aussi à différents degrés. Par exemple dans le protocole lui-même il y avait des sortes de zones obscures, impossibles à photographier. Quand je revenais chez moi avec ces choses trouvées, immédiatement je les disposais sur la table de dépôts, d’observation, la table à penser, je ne sais plus comment l’appeler, disons la table pour faire simple. En déposant ces nouveaux éléments, je perturbais l’organisation précédente, des choses étaient décalées, d’autres se cassaient la figure car l’installation était vraiment très instable, beaucoup de choses étant en équilibre sur leur voisine. Parfois cela générait un effet domino chahutant tout un pan de la «sculpture sur table». Bref, quand je faisais cela, je n’étais pas entrain de photographier ces multiples «glissements de terrain» qui, le temps de déposer les choses, reconfigurait aussi ce paysage sur table. «L’heure des dépôts», était l’heure systématiquement manquante à l’enregistrement photographique.
E : Aurais-tu souhaité pouvoir tout enregistrer?
G : Il y avait ce désir consciemment utopique de vouloir tout enregistrer, que la photographie agisse tel un aspirateur du visible qui stockerait tout, archiverait tout mais c’est impossible. Et puis quelle aurait été la juste fréquence de prise de vue? Quelle est la juste fréquence d‘enregistrement d’un flux, tous les jours, toutes les heures, toutes les secondes, encore moins, et pendant quelle durée?
E : Pourquoi ne pas avoir filmé, si c’est un flux, la vidéo semble être le médium prédestiné ?
G : En effet, mais je tenais à produire des images suffisamment «lentes» pour être examinées dans leurs détails. C’était une façon aussi, en les photographiant, de rendre possible le fait de pouvoir s’attarder sur ces choses en apparence très banales. La question de la représentation étant centrale, je souhaitais que l’on puisse s’approcher de celle-ci, le plus directement possible, que l’on puisse s’approcher de ce qui la structure, de sa matière, des pigments et du papier donc. La vidéo implique un écran, or c’est pour être au plus proche de ce qui fait représentation que j’ai aussi choisi d’imprimer sur un papier qui ne fait pas écran, mat, sans cadre, sans vitre, paramètres qui permettent un accès très direct à ce qui fait matériellement image.
Il y avait donc une intention de manifester quelque chose d’élémentaire, concernant à la fois la photographie elle-même et ses proprietés, dont celle de générer une attention particulière concernant des choses non spectaculaires, mais aussi l’intention de s’attarder sur les éléments constitutifs de l’installation-sculpture. Il s’agit aussi d’une série, j’avais aussi envie de réfléchir sur cette pratique photographique très rependue qu’est la série de façon très basique. En effet, il ne s’agit pas d’une série où le passage d’une image à l’autre ou la cohabitation de plusieurs images est le fruit d’une affinité symbolique ou formelle, ou thématique car la succession est ici purement chronologique. De plus, chaque image a ses limites physiques propres, chacune est un rectangle de papier imprimé, chaque enregistrement est ainsi rendu unique, chaque rectangle de papier est une photographie et en même temps, conjugué aux autres images, cet aspect unique peut-être considérer comme une variation de lui-même. On en revient donc à l’idée de potentiel, quelque chose a été activé et enregistré, mais il pourrait être tout ou partie différent et cela se trouve d’ailleurs dans la série sous formes de variations.
E : Pourquoi les dates ne suivent-elles pas une fréquence établie? Parfois il y a plusieurs jours, voir semaines ou mois entre deux photographies de la table?
G : Je suis content que tu le remarques, c’est aussi là l’enregistrement de ma disponibilité, ce qui m’intéresse c’est que de façon invisible dans telle ou telle image mais de façon déductive par la pensée et l’observation de la série, cela aussi a été enregistré et potentiellement peut-être révélé. Que tu remarques cela, mes indisponibilités à poursuivre parfois l’enregistrement des différents états de cette table, que tu remarques les ruptures et les manques souligne bien que l’intérêt pour toi ne réside pas dans telle ou telle image singulière mais plutôt dans la façon dont les images existantes viennent insister pour désigner toutes celles qui auraient pu être aussi, et qui pour certaines adviendront.
E : Oui je vois ton travail comme une somme qui ne cesse d'augmenter, même si parfois je suis attirée par une image en particulier, je veux voir d’autres occurrences, d’autres passages d’un état à un autre, un peu comme un nuancier dont on veut découvrir un maximum de valeurs possibles ou comme une collection que l'on enrichie de spécimens.
Conversation en cours, la suite viendra plus tard.